Il me fit appeler; c'était un soir d'automne.Au lieu des «derniers sacrements»
Dans sa mansarde au froid de loup,
Il grelottait au lit, phtisique et le teint jaune
Comme une chandelle d'un sou.
Son coffre caverneux râlait comme un vieil orgue,
Sa peau prenait déjà le ton
Des verdâtres noyés qu'aux dalles de la Morgue
On voit s'étaler tout du long.
- Mon cher, je vais crever, me dit-il dans un rire
Qui figea la moelle en mes os,
Pour m'achever, sais-tu, je voudrais un vampire
Qui d'un baiser vidât mon dos!
Je descendis très-calme, au coin d'une ruelle
Sifflai le premier blanc jupon
Que j'aperçus flairant un mâle en quête de femelle
Et lui montrai le moribond.
Quand je l'eus mise au fait de sa besogne sombre
Je vis se cabrer ses deux seins
Et dans ses regards chauds de nuits folles sans nombre
Se réveiller ses sens éteints.
Elle se dévêtit, bâilla, fit une pause
Puis, comme sous un fouet cuisant,
Sur sa babine en feu passant sa langue rose
Bondit près de l'agonisant!
Lui, sentant à ce Souffle un hurlant flot de lave
Bouillonner dans ses reins gelés,
Un éclair de rut fou flamba dans son œil cave
Il dit quelques mots étranglés
Et je les vis s'étreindre. Ainsi sur un roc chauve
Un nœud de vipères se tord.
Je sortis, les laissant à leur lutte âpre et fauve.
Le lendemain, il était mort.
Il gisait pâle et grêle étendu sur sa coucheJules Laforgue
1ère publication:
Poésies Complètes (Le Livre de Poche) 1970