Impassible en ses lois la Force universelle
Ivre de sa fécondité
En aveugles rayons par la paix solennelle
Vibrait de toute éternité.
Sans repos, sans remords, de vivantes flottilles
Elle criblait l'immensité,
Et les soleils flambants entraînaient leurs familles
Au béant vide illimité.
Et la terre troublée en sa vieille inertie
Sentit, du fond des cieux venu,
Comme un étrange appel à bondir dans la vie
À se ruer dans l'inconnu.
Ce fut un coup de sève une ivresse pareille
Au vague et joyeux aiguillon
Qui fait qu'au renouveau le germe obscur s'éveille
Aux fentes chaudes du sillon,
Ivre, elle s'élança de la houle sauvage
Et bouillonnante du chaos
Mais soudain vers les cieux jaillit un cri de rage
Le Mal s'accrochait à son dos
Le Mal qui là dans l'ombre allait flairant sa proie
Puis détendant son corps raidi
Sur ce globe innocent avec un cri de joie
Ainsi qu'un fauve avait bondi.
- oh! ce fut formidable et tragique! l'abîme
Était l'azur des anciens jours.
En silence, tous deux, le Mal et sa victime
Luttaient, luttaient sous les cieux sourds
La terre secouant, aveuglée, en délire,
Par l'azur ce vautour géant
Lui, toujours, enfonçant ses ongles de vampire
Toujours plus avant dans son flanc,
Éploya vastement ses grandes ailes noires
Et le sanglot des âges commença.Leur âge nous confond! Pour l'horloge éternelleGalerie d'Orléans, Dimanche, août 1879, après-midi 4 h en sortant de la rue Colbert.
Ils s'éteignent dès qu'ils ont lui :
Nous disons hier, demain, ô stupeur, c'est pour elle
Eternellement aujourd'hui.Jules Laforgue
1ère publication:
Poésies Complètes (Le Livre de Poche) 1970