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Rosace en vitrail
Vraiment! tout ce qu'un Cœur, trop solitaire, amasse
De remords de la vie et d'adoration,
Flambe, brûle, pourrit, saigne en cette rosace
Et ruisselle à jamais de consolation.

Oh! plus que dans les fleurs de fard de Baudelaire,
Plus que dans les refrains d'automne de Chopin,
Plus qu'en un Rembrandt roux qu'un rayon jaune éclaire,
Seuls aussi bons aux spleens sont les couchants de juin.

Vaste rosace d'or, d'azur et de cinabre
Pour ce coin recueilli mysticisant le jour,
Tu dis bien notre vie et splendide et macabre,
Et je veux me noyer en toi, crevé d'amour!

D'abord, ton Cœur, calice ouvré de broderies,
Semble, dans son ardeur d'âme de reposoir,
Un lac de sang de vierge, où mille pierreries
Brûlent mystiquement, nuit et jour, sans espoir!

De ce foyer d'essors, féerique apothéose,
Jaillissent huit rayons, échelle de couleurs,
Où des tons corrompus, mourants, se décomposent,
Symboles maladifs de subtiles douleurs,

Ô blancs neigeux et purs, ò pétales d'aurore,
Blancs rosés, lilas blanc, fleurs des vierges écrins,
N'êtes-vous pas l'enfance, où le remords encore
Et les spleens furieux n'ont pas cassé nos reins?

Et vous, l'âpre jeunesse éclatant en vingt gerbes
D'ivresse, vers le calme éternel du soleil,
Bleus francs, verts des juillets, écarlates superbes,
Lits chauds de tresses d'or, braises de rut vermeil?

Alors, le grand bouquet tragique de la Vie!
Les mornes violets des désillusions,
Les horizons tout gris de l'ornière suivie
Et les tons infernaux de nos corruptions!

Ah! quel riche trésor l'artiste Amour étale!
Orangés sulfureux, or roux, roses meurtris,
Blancs de cold-cream; et la splendeur orientale
Des verts, des lilas noirs et des jaunes pourris!

L'alcool, les cuivres chauds des alambics; les bières,
Gamme de blonds; les ors liquides et vermeils,
Les verts laiteux, les blancs, les bleus incendiaires,
L'opale des crachats et le plomb des réveils.

Toussez, ô gris du spleen, défilé monotone
Des tons neutres, plâtreux, enfumés, endeuillés;
Sépias, roux déteints, averses, ciels d'automne;
Soleils soufrés croulant dans les bois dépouillés;

C'est la mort, la catin en cire, aux fards malades;
Et son clavier de verts, ses algues au fiel;
Ses jaunes luxueux, ses roses de pommades
Ses bitumes fondant dans le noir éternel !

Chaste rosace d'or, d'azur et de cinabre,
Va, je viendrai souvent lire en toi, loin du jour,
L'Illusion, plus morne en son chahut macabre,
Et me noyer en toi, crevé, crevé d'amour!

Jules Laforgue

1ère publication:
Œuvres Complètes (Mercure de France) 1903

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