Noël résigné 
Noël! Noël! toujours, sur mes livres, je rêve.
Que de jours ont passé depuis l'autre Noël!
Comme toute douleur au cœur de l'homme est brève.
Non, je ne pleure plus, cloches, à votre appel.

Noël! triste Noël! En vain la bonne chère
S'étale sous le gaz! il pleut, le ciel est noir,
Et dans les flaques d'eau tremblent les réverbères
Que tourmente le vent, un vent de désespoir.

Dans la boue et la pluie on palpe des oranges,
Restaurants et cafés s'emplissent dans le bruit,
Qui songe à l'éternel, à l'histoire, à nos fanges ?
Chacun veut se gaver et rire cette nuit!

Manger, rire, chanter, - pourtant tout est mystère!
Dans quel but venons-nous sur ce vieux monde, et d'où ?
Sommes-nous seuls ? Pourquoi le Mal ? pourquoi la Terre ?
Pourquoi l'éternité stupide ? Pourquoi tout ?

Mais non! mais non, qu'importe à la mêlée humaine ?
L'illusion nous tient! - et nous mène à son port.
Et Paris qui mourra faisant trêve à sa peine
Vers les cieux éternels braille un Noël encor.

Jules Laforgue

Natale Ressegnato

1ère publication:
Revue Bételgeuse Hiver 1967