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Rabâchages
Il doit être minuit. Tout dort. On n'entend rien.
Un fiacre dans la rue, - un aboiement de chien,
Des ivrognes perdus. - Comme la vie est triste !-

On ne sait rien, et tout dort. - Dire que j'existe !
J'existe ! Moi- Moi- Moi. J'ai des sens, un cerveau,
Je vis ! - Pourtant, ma mère est là-bas au tombeau !
Je suis, elle n'est plus ! C'est vrai, la nuit profonde
M'aurait encor sans elle ; - elle m'a mis au monde...

Mon Dieu ! Tout n'est-il pas un cauchemar trompeur?

Rien qui ne soit sujet d'insondables stupeurs ;
L'Art, l'Amour, et la Mort, la planète et la vie,
Et surtout cette soif de vivre inassouvie
Malgré sa déraison ! - Oui, tout est étonnant.

Et pourtant qui s'étonne ici-bas? maintenant?
On rit, on boit, on joue, on trépigne au théâtre,
La Prostitution à son miroir se plâtre,
On saute sous le gaz au bal de l'Opéra !
D'autres ronflent ou font l'amour, et cœtera...

Et penser qu'il faudra que ma Planète crève.

Peut-être tout n'est-il qu'un grand rêve? - Oh ! quel rêve !...

Mais, alors, á quoi bon ce vaste cauchemar,
Au lieu du noir sans cœur, sans écho, sans regard ?

- nuit de la Mi-carême 1881.
Jules Laforgue

1ère publication:
Revue des sciences humaines n°178 avril-juin 1980

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