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Oh! qu'une, d’Elle-même, un beau soir, sût venir
Ne voyant plus que boire à mes lèvres, où mourir!...

Oh! Baptême!
Oh! baptême de ma Raison d’être!
Faire naître un « Je t’aime! »
Et qu'il vienne à travers les hommes et les dieux,
Sous ma fenêtre,
Baissant les yeux!

Qu'il vienne, comme à l'aimant la foudre,
Et dans mon ciel d'orage qui craque et qui s'ouvre,
Et alors, les averses lustrales jusqu'au matin,
Le grand clapissement des averses toute la nuit! Enfin!

Qu'Elle vienne! et, baissant les yeux
Et s'essuyant les pieds
Au seuil de notre église, ô mes aïeux
Ministres de la Pitié,
Elle dise :

« Pour moi, tu n'es pas comme les autres hommes,
« Ils sont ces messieurs, toi tu viens des cieux.
« Ta bouche me fait baisser les yeux
« Et ton port me transporte
« Et je m'en découvre des trésors!
« Et je sais parfaitement .que ma destinée se borne
« (Oh, j'y suis déjà bien habituée!)
« te suivre jusqu'à ce que tu te retournes,
« Et alors t'exprimer comment tu es!

« Vraiment je ne songe pas au reste; j'attendrai
« Dans l’attendrissement de ma vie faite exprès.
« Que je te dise seulement que depuis des nuits je pleure,
« Et que mes sœurs ont bien peur que je n'en meure.

« Je pleure dans les coins, je n'ai plus goût à rien;
« Oh, j'ai tant pleuré dimanche dans mon paroissien!

« Tu me demandes pourquoi toi et non un autre,
« Ah, laisse, c'est bien toi et non un autre.

« J'en suis sûre comme du vide insensé de mon cœur
« Et comme de votre air mortellement moqueur. »
Ainsi, elle viendrait, évadée, demi-morte,
Se rouler sur le paillasson que j'ai mis à cet effet devant ma porte.
Ainsi, elle viendrait à Moi avec des yeux absolument fous,
Et elle me suivrait avec ces yeux-là partout, partout!

Jules Laforgue

1ère publication:
La Vogue  le 6 décembre 1886
 

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