Didier Schaller

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DERNIERS VERS
de Jules Laforgue
 
L’HIVER QUI VIENT
 
TABLE DES MATIERES

 

1)VERS L’HARMONIE IRREGULIERE

2)LES METRES

3)RIMES

3.1) Répartition traditionnelle : rimes plates, alternées

3.2) Rime sans répondant homophonique : un certain nombre de vers se trouvent privés de rime

3.3) Rimes disposées de manière aléatoire

4)STROPHES

5)RUPTURES

6)MORT DU SOLEIL

7)SOLITUDE

7.1) La solitude de la création

7.2) La solitude dans l’agonie, la mort, de l’enfant

8)NOSTALGIE

9)CONCLUSION

 
1)VERS L’HARMONIE IRREGULIERE

 

 

L’inégalité dans la structure des vers m’a frappé lors de la lecture du premier poème de ce recueil de Laforgue. Alors que dans les poèmes des recueils précédents j’avais observé une certaine régularité, ici tout se trouve présenté d’une manière différente.

Dans le recueil des Complaintes, Laforgue se limite dans le choix des types de vers utilisés dans chaque poème. Il se sert très souvent de l’alexandrin et ne néglige pas les vers de 8 ou 10 syllabes. Quelques fois même, il en écrit de bien plus courts. On peut dire que chaque poème possède une certaine unité syllabique, bien que le poète prenne quelques libertés touchant à la longueur des vers. Il est en effet parfois difficile de définir le nombre de syllabes d’un vers. Il joue sur une certaine ambiguïté de la prononciation.

Les strophes forment généralement des ensembles réguliers. Laforgue conserve des formes aisément identifiables par le lecteur : distique, tercet, quatrain.

Toujours dans les Complaintes, les rimes suivent une ordonnance traditionnelle, soit plate, soit embrassée, soit alternée.

 

Dans l’Hiver qui vient, on observe un changement assez important. Laforgue tend à libérer de plus en plus ses vers et leur agencement d’un carcan traditionnel.

 

2)LES METRES

 

Sur les quatre-vingts vers de ce poème, une bonne moitié est connue des lecteurs et facilement identifiable : alexandrins, décasyllabes, octosyllabes. On rencontre également des vers de mètre impair de 3, 5, 7, 9 syllabes qui ne constituent pas une nouveauté. L’attention serait plutôt attirée par des formes que je qualifient d’atypiques :

- Le nombre de syllabes dépasse celui de l’alexandrin, ces vers atteignent les 13, 14, 15 ou même 18 syllabes.

- Ces formes résistent à la classification. En effet, on butte sur des vers qui comportent 8 ou 9 syllabes, 9 ou 10, 10 ou 11, 11 ou 12.

 

Je présente ci-dessous un tableau de classification(formes habituellles)

 
 
Nombre de syllabes
Exemples
 
Alexandrin(12) La Toussaint, La Noël et la Nouvelle année,

On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés;

Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine!...

 

Décasyllabes Les cors, les cors, les cors - mélancoliques !...

J’essaierai en choeur d’en donner la note.

 

Octosyllabes Changeant de ton et de musique,

S’en sont allés au vent du Nord.

Des statistiques sanitaires

 

Hexamètres S’en vont changeant de ton, Tous les ans, tous les ans,  
9 syllabes C’est l’hiver bien connu qui s’amène;
7 syllabes Des spectacles agricoles,

 

3 syllabes Qu’il revienne...

 

5 syllabes Qu’il revienne à lui!

 

2 syllabes Il bruine;

 

 

 

 

Tableau des formes atypiques :

 
 
Nombre de syllabes
Exemples
 
18 syllabes Accélérons, accélérons, c’est la saison bien connue cette fois

 

15 syllabes C’est la saison, c’est la saison, la rouille envahit les masses,

 

14 syllabes Tous les paniers Watteau des bourrées sous les marroniers,

 

13 syllabes Les sous-bois ne sont plus qu’un fumier de feuilles mortes;

Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau

 

Le nombre de syllabes est difficilement définissable Blocus sentimental! Messageries du Levant!...

Sur une litière de jeunes genêts

Oh! leurs ornières des chars de l’autre mois,

Et toute la misère des grands centres.

Lampes, estampes, thé, petits-fours,

 

 

Le lecteur est donc souvent laissé dans l’indécision. « Le vers qu’il est en train de lire peut être soumis au décompte des syllabes... ou à la seule règle accentuelle qui libère le vers de l’obligation syllabique... Dans les Derniers Vers s’établit un conflit entre un code ancestral et une nouvelle codification, nécessairement ressentie comme déviante. »

 

3)RIMES

 

Nous pouvons classer les rimes en trois catégories en fonction de leur structure, de leur agencement.

 

3.1) Répartition traditionnelle : rimes plates, alternées

.

Exemples :

 

plates : strophe 3 Manche/dimanche

strophe 5 Pactoles/agricoles

alternées : strophe 2 mouillés/prochaine/rouillés/taine

 

Ici Laforgue reste bien dans la ligne traditionnelle de la poésie.

 

3.2) Rime sans répondant homophonique : un certain nombre de vers se trouvent privés de rime.

 

Exemples :

 

strophe 5 : ensevelis ? /sans personne !...

strophe 10 : que d’échos !...

Ces fins de vers présentent un isolement inhabituel. Dans ces exemples, ces sons isolés marquent encore plus le sentiment de solitude que le poète veut nous faire sentir, notemment dans la strophe 5. De plus le sens des termes poussent vers cette interprétation.

On peut aussi observer un phénomène de rupture avec le mot « échos ».En effet, ce mot évoque des résonnances qui n’apparaissent pas formellement dans les vers proches. Les échos inouïs se retrouvent dans la nostalgie du poète lui-même : Je ne puis quitter ce ton. Ils se retrouvent aussi par association d’idée dans la strophe précédente avec la répétition des mots musicaux et des instruments de musique :

Ton ton, ton taine, ton ton!...

Les cors, les cors, les cors!...

 

3.3) Rimes disposées de manière aléatoire :

 

Exemples :

 

strophe 6 :

Hallali!/s’amène;/routes,/chemine!.../mois,/rails/déroute/bercails!.../fois.

 

Les sonorités de fin de vers sont dispersées à l’intérieur des strophes dans une sorte de désordre. Ajoutons encore que des structures de rimes traditionnelles coexistent par juxtaposition avec la présentation aléatoire des rimes.

 

 

La rime dans son ordonnancement classique est chahutée. A l’harmonie et à la régularité métronomique alexandrines se substitue une sonorité nouvelle, une musique inhabituelle, une sorte d’harmonie disharmonique comme dans les musiques d’Erik Satie ou de Thelonious Monk(jazz).

Nous découvrons une multitudes de rimes intérieures. Ces rimes existent par l’émergence de fins de mots identiques sur une suite de deux ou trois vers.  

Exemples : C’est la saison, c’est la saison, la rouille envahit les masses,

La rouille ronge en leurs spleens kilométriques

Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe.(v.51-53)  

Les répétitions fréquentes de groupes de mots ajoutent encore à cette nouvelle musicalité des vers de ce poème.

Cela va jusque dans la forme même d’une partie d’une strophe, la cinquième, où l’agencement des vers fait penser à une suite descendante, la disparition du soleil constituant le point le plus bas. Cette agonie musicale du soleil est soutenue par la présence de la sonnerie des cors de chasse :

 

Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau,

Un soleil blanc comme un crachat d’estaminet

Sur une litière de jaunes genêts

De jaunes genêts d’automne.

Et les cors lui sonnent!

Qu’il revienne...

 

 
4)STROPHES

 

A cette disposition non systématique des rimes s’ajoute une construction hasardeuse des strophes dans ce sens qu’elles ne comportent pas de nombre de vers fixe à travers le poème.

Aussi, n’avons nous pas une suite bien régulière de quatrains, ou de tercets. Non! Tout se passe comme si Laforgue voulait absolument désarçonner son lecteur pour mieux le remettre en selle; sur une selle toute neuve, encore mal adaptée à son cavalier et qui offre quelques surprises.

Dans l’édition NRF/Gallimard le nombre de vers par strophe se répartit comme suit : 6; 4; 2; 3; 16; 9; 3; 7; 3; 7; 9; 9; 6. Nous constatons là qu’il n’y a pas de règle, encore moins de raison mathématique dans l’agencement quantitatif des strophes de ce poème.

 

Ainsi par les différents éléments que je viens de présenter nous rencontrons une certaine nouveauté, innovation dans un poème consacré à l’automne. En effet, l’automne constitue un thème poétique énormément utilisé et donc devenu très banal. Laforgue s’est ingénié à en renouveler la forme par des entorses aux règles établies par la coutume. Il recherche une poésie différente, en rupture avec l’ancienne, la traditionnelle.

 

5)RUPTURES

 

Ces ruptures, ce sont les surprises qui nous attendent au détour des mots, au bout des expressions que Laforgue utilise dans son poème. Tout au long des quatre-vingts vers du poème, elles accompagnent le lecteur sachant se faire oublier par moment pour mieux ressurgir quand il ne les attend plus.

 

Le poème s’ouvre d’ailleurs avec une rupture dans les deux premiers termes « Blocus sentimental » : on passe d’un terme d’ordre militaire au domaine des sentiments amoureux. Ces derniers se rencontrent à la strophe suivante conservant l’idée d’empêchement par des expressions comme « on ne peut plus s’asseoir...c’est bien fini.... » accentuée par les causes énoncées qui, en plus, scandent l’impossibilité par leur ensemble d’allitérations : tous les bancs... tant les bancs... tant les bois... Et les cors qui finissent le vers 10, sont-ce des clairons qui sonnent la fin de la bataille des sentiments amoureux ?

Dans la strophe 6, on rencontre un terme militaire(les patrouilles) associé à un autre éminemment poétique (nuées). Ces patrouilles avancent sur deux colonnes parallèles(rails), ce qui accentue l’idée d’un bel ordonnancement immédiatement défait par la « déroute ». C’est la Bérésina !

Les ruptures ou plutôt les oppositions apparaissent également dans le temps des verbes. « avaient » « sont »(v.44-45).

Les déviations de l’usage courant des mots s’observent dans la cinquième strophe où le poète règle son compte au soleil. En effet, on recontre des expressions telles que « spectacles agricoles » et « travaux en blonds Pactoles » dans lesquelles on attendrait plutôt le groupe « travaux agricoles »; le tout étant,en plus, complément de l’adjectif « plénipotentiaires » qui relève du domaine diplomatique non pas de celui de la campagne ou de celui de la nature en général.

La fêlure apparaît, de manière manifeste sur le plan formel, à la fin de la première strophe. Il s’agit du rapport entre les vers 5 et 6. Le vers 5 crée un ensemble sémantique(sans verbe) cohérent; il se termine cependant par des points de suspension, laissant lecteur dans une espèce d’attente. Attente d’une suite d’énumération comme c’était déjà le cas pour le début de la strophe où le même procédé a été utilisé. Or, ici, le poète ajoute un complément au nom « cheminées », établissant une sorte de rejet et plaçant ainsi les cheminées d’usines au loin. Créant ainsi l’atmosphère de la banlieue d’autant plus éloignée qu’elle se retrouve en fin de vers et en fin de strophe.

 

 

6)MORT DU SOLEIL

 

Laforgue n’introduit pas uniquement des surprises dans son poème, il reste aussi fidèle à certains thème comme celui de haine du soleil. En effet, dans de nombreux poèmes des Complaintes, Laforgue nous a présenté le soleil sous un jour funeste. Il a une espèce de haine du soleil, surtout du soleil couchant. Cela se transforme en une sorte de leitmotiv dans son oeuvre.

« L’Hiver qui vient » n’échappe pas à la représentation morbide du soleil(strophe 5) à laquelle Laforgue nous avait déjà habitués. La cinquième strophe s’ouvre sur un soleil pluriel affublé d’un adjectif du langage diplomatique (plénipotentiaires). J’y observe une présentation en dérision du soleil. En effet, il ne tire sa toute puissance que de sa multiplicité, non pas de sa simple existence. Chaque jour il naît, chaque jour il disparaît aussi; plus on avance vers l’hiver plus son absence journalière est longue. C’est comme s’ils étaient morts(ensevelis?). De plus cette puissance est défaite, dénaturée encore une fois par l’utilisation d’associations de mots inattendues(spectacles agricoles).

Ce soleil devient totalement ridicule puisque il est « fichu » et qu’il « gît au haut du coteau ». Laforgue nous offre une sorte de sédition littéraire sur le plan du vocabulaire.On sort du domaine poétique avec le terme « fichu » qui se dit dans le langage populaire au sujet d’objets divers de la vie courante mais non pas de quelque chose qui serait « plénipotentiaire ».En outre, L’assonnance  « o » ne me donne pas l’impression d’une grande réussite poétique, mais relève plutôt de la maladresse. Maladresse voulue puisque elle se retourne contre le soleil.

Dans le cadre de la moquerie, le mot « Pactoles » rappelle l’histoire du roi Midas qui a failli mourir à cause de sa soif de l’or, donc de son désir de domination et de puissance(termes se rapportant évidemment à plénipotentiaire)et à cause de sa bêtise. Dans ses Métamorphoses, Ovide le désigne comme un homme ayant un « pingue ingenium »(Ov.Met.XI, 148). La moquerie ne s’étendrait-elle pas ainsi à la bourgeoisie dominante toujours plus cupide et avide de pouvoir? Midas a pu rompre le sortilège en se lavant dans l’eau du fleuve Pactole. Celui-ci devint le rendez-vous des cygnes, compagnons d’Apollon(Homère, Iliade 2, 460). Ils représentent la lumière mâle, solaire, la fécondation : tout ce que Laforgue n’aime pas. Cependant placés en fin de vers dans un contexte morbide ces cygnes ne peuvent que se mettre à chanter.

Ensuite, le soleil devient un soldat gisant « gît sur le flanc; sur son manteau » garni des attributs de la mort, les genêts jaunes. Avec le gisant, la maladie n’est pas loin. La phtisie des gens du bas peuple, des pauvres peuplant des banlieues sordides s’attache au soleil et en ressort blanche comme un crachat. Toujours dans le dégoût du crachat, Laforgue rapproche encore une fois l’astre du jour d’une chose gluante, qui s’étale et qui n’en finit pas d’agoniser  « glande arrachée dans un cou ». Cette représentation maladive du couchant, du gisant dans un champ sémantique double, c’est-à-dire dans des termes médicaux « glande » et dans l’emploi de mots désignant le cadre de vie sociale des ouvriers et des gens de peu de fortune « estaminet », se rencontre, comme je l’ai déjà dit plus haut, fréquemment chez Laforgue(Complainte d’une autre dimanche : mals blancs... Un couchant.... suppurant du livide etc.).

L’automne est la saison de la chasse. On entend les cors sonnant l’hallali, la bête chassée étant aux abois avant la mise à mort. L’animal qui périra ici n’est autre que le soleil. Les cors, quelque peu cruels, s’amusent avec ce soleil agonisant. Ils font entendre leur sonnerie à l’envi, à la manière d’une musique religieuse dans la répétition monotone de la liturgie provoquant une sorte d’agaçement dont on voudrait se débarrasser rapidement comme une rage de dents.

 

7)SOLITUDE

 

Le thème de la solitude circule tout au long du poème. Nous la rencontrons dans différents contextes.

 

7.1) La solitude de la création.

7.2) La solitude dans l’agonie, la mort, de l’enfant.

 

 

7.1) La solitude de la création.

 

Dès l’ouverture du poème, on imagine aisément le poète derrière une fenêtre dans une maison de banlieue. Il regarde seul dans sa chambre sous les toits le paysage et cherche l’inspiration dans la monotonie du lieu. Cette inspiration viendra-t-elle, contrecarrant la pesanteur des éléments naturels dans son lourd mouvement descendant : Oh, tombée de la pluie ! Oh! tombée de la nuit, Oh! le vent!... ? Seul ce dernier offre un petit morceau d’espoir!

De plus, cette monotonie du lieu est accentuée par le rythme immuable du temps qui passe et auquel la société impose toujours les mêmes jalons : Toussaint, Noël, Nouvelle Année. Le créateur isolé tourne en rond; s’en sortira-t-il?

Dans son univers petit-bourgeois : lampes, estampes, thé, petits-fours, lainages, caoutchoucs, pharmacie; il reste la place pour l’évasion et la découverte. Elle se fait à travers le rêve(fin du v. 70), à travers l’océan de toitures. La métaphore invite le poète à sortir, à partir vers les contrées inconnues de la création. Le poète se donne finalement un programme pour se sortir de cette atmosphère pesante et transformer la solitude en catalyseur de la création artistique littéraire.

 

7.2) La solitude dans l’agonie, la mort, de l’enfant.  

Le soleil, dans sa damnation laforguienne, a droit à une mort sans publicité. V.30-31 : Et il gît là,... sans personne!...  

Les jeunes filles ont disparu, elles sont à l’intérieur des maisons, à l’abri des frimas, de sorte que les jeunes gens se retrouvent seuls, sans petit Chaperon Rouge, sur les grandes routes où nul ne passe.  

L’enfant aussi se retrouve seul, sans sa famille, loin du foyer maternel chaud et rassurant : v.67 C’est la tisane sans le foyer.

 

8)NOSTALGIE

 

Différents passages du poème proposent une touche de nostalgie teintée de mélancolie.

Les beaux jours s’en sont allés et avec eux les amours ou plutôt les possibilités de flâner dans les parcs avec sa bien aimée : « On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés; Crois moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine, Tant les bancs sont mouillés,... ». Plus loin, le poète marque encore une fois ce sentiment de regret du temps passé (v.61 Je ne puis quitter ce ton : que d’échos!...). Tous ses souvenirs lui reviennent en mémoire et il peut les apprécier, avec un goût particulier, plusieurs fois puisqu’ils reviennent régulièrement à son esprit comme rebondissant sur les parois intérieures de son crâne.

 

La présence de l’eau liée à la ruine des toiles d’araignées accentue encore cette atmosphère de regret. Cependant, Laforgue n’oublie pas une de placer une petite pointe d’ironie en parlant du dernier dimanche gâté par une météorologie désastreuse. Pauvres bourgeois !

Les cors même, si cruels lorsqu’ils se réjouissent pendant l’hallali de la mort prochaine du soleil, regrettent ces bons moments et sombrent dans cette humeur noire. Finalement dans l’espoir de retrouver une certaine gaieté, ils changent de ton et s’en vont ailleurs.

 

Le terme « adieu », répété trois fois, augmente encore cette tristesse ambiante, ce regret du temps passé. Tout est fini, les vendanges sont faites, les paniers sont devenus inutiles; même ceux, à caractère érotique, des robes des dames (si habiles dans les moqueries des Gilles qui ont des affinités avec les Pierrots de Laforgue)que l’on rencontrait dans les danses, pendant les réunions campagnardes, si bien peintes par Watteau.

 

Pourtant, une fois saôulé de mélancolie par le poète, le lecteur est ramené brutalement à la réalité par la rupture que provoquent les vers 76-78 :

 

Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire

Des statistiques sanitaires

Dans les journaux?)

 

De plus, s’inquiéter du temps qui passe et en éprouver une sorte de nostalgie est risible puisque le Temps ne fait rien d’autre que se tricoter des savates.

Cette ironie repousse au loin la tristesse et finalement le rire, ou tout au moins le sourire, l’emporte.  

Enfin, ce qui importe le plus c’est de créer une partition sur laquelle le poète couchera de la poésie musicale: v.83-84. Il n’oubliera pas un certain sourire qui permet une relativisation d’autant plus importante que les événements présentés semblent noirs et déprimants.

Tous les ans, tous les ans,

J’essaierai en choeur d’en donner la note.

 

9)CONCLUSION

 Dans ce petit texte, j’ai essayé de voir de plus près ce que j’avais ressenti à la première lecture de ce poème.

Laforgue nous fait éprouver quelque chose de « bizarre mais/et de beau ». Ces deux adjectifs qualifiant le poème de Laforgue ont été prononcés par une dame(qui n’a pas fait de hautes études) à qui je faisais lire ce poème alors que je me trouvais dans le train me conduisant à Neuchâtel. Je les ai trouvé tout à fait ajustés à ce poème.

Malgré les ruptures, ou plutôt à cause d’elles, grâce aux répétitions abondantes mais pas étouffantes, par le sourire, la moquerie et le séditions littéraires, Laforgue renouvelle l’expression de l’automne et c’est un tour de force qu’il réussit.



Mise à jour : 25 novembre 1999

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