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Trop tard (1)
Ah que n'ai je vécu dans ces temps d'innocence,
Lendemain de l'An mil, où l'on croyait encore,
Où Fiesole peignait loin des bruits de Florence
Ses anges délicats souriants sur fond d'or.

Ô cloîtres d'autrefois! Jardins d'âmes pensives,
Corridors pleins d'échos, bruits de pas, longs murs blancs,
Où la lune le soir découpait des ogives,
Où les jours s'écoulaient monotones et lents.

Dans un couvent perdu de la pieuse Ombrie,
Ayant aux vanités dit un suprême adieu,
Chaste et le front rasé, j'aurais passé ma vie,
Mort au monde, les yeux au ciel, îvre de Dieu!

J'aurais peint d'une main tremblante ces figures
Dont l'oeil pur n'a jamais réfléchi que les cieux!
Au vélin des missels fleuris d'enluminures,
Et mon âme eut été pure comme leurs yeux.

J'aurais brodé la nef de quelque cathédrale,
Ses chapelles d'ivoire et ses roses à jour.
J'aurais donné mon âme à sa flèche finale
Qu'elle criât vers Dieu tous mes sanglots d'amour!

J'aurais percé ses murs pavoisés d'oriflammes,
De ces vitraux d'azur peuplés d'anges ravis
Qui semblent dans l'encens et les cantiques d'âmes
Des portails lumineux s'ouvrant au paradis.

J'aurais aux angélus si doux du crépuscule
Senti fondre mon coeur vaguement consolé,
J'aurais poussé la nuit du fond de ma cellule
Vers les étoiles d'or un sanglot d'exilé.

J'aurais constellé d'or de rubis et d'opales
La châsse où la Madone en habits précieux
Joignant avec ferveur ses mains fines et pâles
Si douloureusement lève au ciel ses yeux bleus.

Jules Laforgue

1ère publication:
Poésies Complètes (Le Livre de Poche) 1970

Nota: Ce sont les 8 premières strophes de la 1ère version.

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