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Pétition
Amour absolu, carrefour sans fontaine;
Mais, à tous les bouts, d'étourdissantes fêtes foraines.

Jamais franches,
Ou le poing sur la hanche :
Avec toutes, l'amour s'échange
Simple et sans foi comme un bonjour.

Ô bouquets d'oranger cuirassés de satin,
Elle s'éteint, elle s'éteint,
La divine Rosace
À voir vos noces de sexes livrés à la grosse,
Courir en valsant vers la fosse
Commune!... Pauvre race!

Pas d'absolu; des compromis;
Tout est pas plus, tout est permis.

Et cependant, ô des nuits, laissez-moi, Circés,
Sombrement coiffées à la Titus,
Et les yeux en grand deuil comme des pensées!
Et passez,
Béatifiques Vénus
Étalées et découvrant vos gencives comme un régal,
Et bâillant des aisselles au soleil
Dans l'assourdissement des cigales!
Ou, droites, tenant sur fond violet le lotus
Des sacrilèges domestiques,
En faisant de l'index : motus !

Passez, passez, bien que les yeux vierges
Ne soient que cadrans d'émail bleu,
Marquant telle heure que l'on veut,
Sauf à garder pour eux, pour Elle,
Leur heure immortelle.
Sans doute au premier mot,
On va baisser ces yeux,
Et peut-être choir en syncope,
On est si vierge à fleur de robe
Peut-être même à fleur de peau,
Mais leur destinée est bien interlope, au nom de Dieu!

Ô historiques esclaves!
Oh ! leur petite chambre!
Qu'on peut les en faire descendre
Vers d'autres étages,
Vers les plus frelatées des caves,
Vers les moins ange-gardien des ménages!

Et alors, le grand Suicide, à froid,
Et leur Amen d'une voix sans Elle,
Tout en vaquant aux petits soins secrets,
Et puis leur éternel air distrait
Leur grand air de dire : « De quoi? »
« Ah! de quoi, au fond, s'il vous plaît? »

Mon Dieu, que l'Idéal
La dépouillât de ce rôle d’ange!
Qu'elle adoptât l'Homme comme égal!
Oh, que ses yeux ne parlent plus d’Idéal,
Mais simplement d'humains échanges!
En frère et sœur par le cœur,
Et fiancés par le passé,
Et puis unis par l’Infini!
Oh, simplement d'infinis échanges
A la fin de journées
À quatre bras moissonnées,
Quand les tambours, quand les trompettes,
Ils s'en vont sonnant la retraite,
Et qu'on prend le frais sur le pas des portes,
En vidant les pots de grès
A la santé des années mortes
Qui n'ont pas laissé de regrets,
Au su de tout le canton
Que depuis toujours nous habitons,
Ton ton, ton taine, ton ton.

Jules Laforgue

Nota: Ce poème a été publié pour la première fois dans la revue La Vogue le 11 octobre 1886, dans une version fort différente.
                                                                       (Voir cette version)
Ce poème publié ici, est la version paru pour la première fois dans le recueil Derniers Vers édité par E. Dujardin et F. Fénéon.

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